EFFORT – tel est le mot magique que François Bayrou a trouvé pour caractériser la nouvelle saison budgétaire. On sait que cette dernière s’annonce plus périlleuse que jamais, aussi bien sur le plan de l’équilibre des comptes publics, jugés hors de contrôle par la Cour des comptes, que sur le plan de la survie de son gouvernement. Il prévoit donc de “demander un effort à tous les Français, le plus juste possible, mais un effort suffisant pour que la France sorte“ enfin de son irrépressible descente aux enfers dans les déficits et la dette.
Les intentions de redressement des finances publiques du Premier ministre sont évidemment louables et beaucoup de ses constats – sur l’ampleur unique au monde de notre modèle social (école, université, santé, retraite) alors que la production française par personne est faible comparativement aux pays pairs – sont parfaitement exacts.
Mais concrètement, le flou domine. Exemple : pouvez-vous dire à tel patron de PME qui ne peut plus se permettre d’embaucher compte tenu du poids des cotisations sociales dans les salaires que les cotisations sociales vont baisser?, lui demandait récemment la journaliste Apolline de Malherbe sur BFMTV. Pas de réponse directe, si ce n’est que les partenaires sociaux doivent se saisir de la question du financement du modèle social. Modèle social qui, dans son idée, reste intouchable car faisant partie intégrante de ce qui définit la France en tant que nation.
Tout juste sait-on que le gouvernement de M. Bayrou présentera début juillet un grand plan d’ensemble de retour à l’équilibre budgétaire en trois ou quatre ans qui ne ciblera pas de catégories particulières de la population. Les efforts seront pour tout le monde. Il en va de l’avenir de la France et de la responsabilité de tous, gouvernement compris.
En attendant, lesdits efforts annoncés évoquent immédiatement l’idée indécrottablement étatique d’impôts supplémentaires. Et ce, d’autant plus qu’on a vu défiler dans la presse une multitude de propositions de renflouement fiscal. Citons notamment la hausse de la TVA pour en attribuer une part au financement des prestations sociales, la suppression de tel ou tel abattement sur le revenu (pour les retraités), la suppression de telle ou telle niche fiscale (sur les services de jardinage), et, last but not least, la fameuse taxe Zucman de 2 % sur le patrimoine de 1 800 « super-riches ».
Dans toutes ces discussions, dans toutes ces idées qui fusent pour taxer plus et encore plus, une donnée essentielle reste la grande absente du débat : les comptes publics français sont peut-être dans une situation de déficit et de dette devenue intenable, mais les prélèvements obligatoires (impôts et cotisations sociales) imposés aux citoyens (à tous les citoyens, n’oublions pas la TVA, première recette fiscale en montant) sont depuis longtemps les plus hauts du monde :
Taux de prélèvements obligatoires par rapport au PIB – OCDE – 2022
Malgré ses grandes difficultés – emploi en berne, croissance atone, niveau éducatif en chute libre, hôpital débordé et système social en déficit chronique -, le problème de la France n’est pas d’avoir un niveau d’impôts trop faible ou de ne pas parvenir à faire rentrer ses recettes fiscales.
De même, en dépit de ce que Gabriel Zucman ou son inspirateur Thomas Piketty peuvent nous dire sur l’injustice fiscale qui règne en France, pays où les super-riches paieraient selon eux proportionnellement moins d’impôts (tous les prélèvements rapportés aux revenus déclarés) que toutes les autres catégories de citoyens (super-pauvres, pauvres, intermédiaires, riches), il ne faudrait pas tomber dans l’erreur d’oublier l’immense redistribution rendue possible par ce niveau d’impôts très élevé. Or c’est précisément ce qu’oublie Gabriel Zucman dans ses calculs, comme l’a signalé sur X l’économiste Gilles Raveaud.
En septembre 2023, l’INSEE a justement publié une intéressante étude sur la répartition des revenus en France et sur les effets de la redistribution. En plus des transferts monétaires correspondant aux prestations sociales et aux pensions de retraite habituellement retenus dans de telles analyses, les auteurs de l’étude ont intégré une redistribution élargie prenant en compte la valorisation des services publics – les individuels tels que santé et éducation, et les collectifs tels que défense ou recherche
La population est partagée selon cinq catégories de niveau de vie, comme indiquée ci-contre, et l’on se concentre sur les deux catégories situées aux extrémités hautes et basses de la répartition, intitulées « pauvres » et « aisés »
La conclusion est frappante. L’écart de revenu entre les 13 % les plus pauvres et les 10 % les plus aisés est de 1 à 18 avant transferts élargis et il se rétracte à un rapport de 1 à 3 après transferts élargis, ainsi que le montre très clairement le schéma ci-dessous, extrait de l’étude :
Bref, si la France va mal et si sa dette se creuse d’année en année, ce n’est ni parce qu’elle serait insuffisamment fiscalisée ni parce qu’elle serait un territoire d’injustice sociale inacceptable. Tout au contraire, c’est à mon sens parce qu’elle compte trop sur la dépense publique et sur les effets miraculeux de la redistribution au dépend de la création de richesse qu’elle s’enfonce irrémédiablement dans la déprime productive et, conséquence directe, dans la déprime sociale.
De ce fait, je suis extrêmement hostile à toute solution budgétaire qui passerait à nouveau par des hausses d’impôts. On peut se dire que quand les temps sont durs, il faut se serrer les coudes autant que la ceinture et faire preuve d’encore plus de solidarité que jamais. Mais dans ce cas, il faut savoir que les temps ne feront que se durcir. Compter sur l’impôt alors que son niveau est déjà si élevé, c’est renoncer à s’attaquer à la racine du problème, c’est renoncer à réduire les dépenses publiques, c’est renoncer à se remettre sur le chemin de la prospérité. Cela revient en fait à se donner la possibilité de continuer à dépenser.
Alors oui, je pense qu’il y a bien un effort à faire, un effort qui va en effet concerner tous les Français. Mais il s’agit d’un effort intellectuel, d’un effort sur les principes de notre système économique et social. Il faudrait parvenir à réaliser que le modèle collectiviste sur lequel on vit depuis 1945 n’est ni juste ni efficace ; qu’il est devenu une formidable fabrique à chômage et à déclassement ; qu’il est si coûteux pour les Français en dépenses de nature sociale qu’il ne permet même pas de financer correctement les missions régaliennes de l’État. Bref, économiquement et socialement, il faudrait que la France se réinvente dans le sens d’une plus grande autonomie donnée à l’initiative individuelle. Pas simple, je sais. Mais tel est l’effort à fournir au plus vite.
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